Italie - Design - Economie

Le design italien résiste à la crise

Le secteur du design italien traverse une zone de turbulences, mais conserve sa place de moteur économique, selon un récent rapport.

Lombardie (Italie). L’Italie s’honore d’être la patrie du « Design » et d’y abriter sa capitale mondiale : Milan. Elle l’a encore prouvé lors de la 63e édition du Salone del Mobile, dirigée par Maria Porro, en avril dernier : un rendez-vous incontournable de tous les professionnels du secteur, qui y affluent, chaque printemps, du monde entier. Plus de 300 000 visiteurs se sont pressés dans ses allées. La plupart étrangers. « 68 % n’étaient pas Italiens et provenaient de 151 pays », a constaté Maria Porro. La Chine est en tête, même si le nombre de ses opérateurs est en légère baisse par rapport à 2023 et plus nettement par rapport à 2024, « ce qui reflète le fort ralentissement subi par ce marché ». Les États-Unis chutent à la huitième place, ce qui soulève la question des droits de douane, mais Claudio Feltrin, président de FederlegnoArredo, souligne que « pouvoir rencontrer directement les clients américains dans cette période de grande incertitude a été fondamental pour nos entreprises ».

Celles-ci se concentrent essentiellement en Brianza, au nord de Milan, foyer tout au long du XXe siècle d’un écosystème unique alliant le savoir-faire d’ateliers spécialisés dans le travail du bois, du cuir, du plastique, du métal avec la créativité des architectes d’intérieurs, de designers et d’éditeur à la renommée internationale. Dresser la liste exhaustive des pièces iconiques signées Vico Magistretti, Gio Ponti, Gaetano Pesce, Ettore Sottsass ou encore Achille et Pier Giacomo Castiglioni est impossible. Tout comme établir celle des marques implantées en Lombardie, de Zanotta à Danese, de Kartell à Artemide, de Cassina à Tacchini en passant par Cappellini ou Molteni. La Lombardie est ainsi le cœur battant du design transalpin en concentrant un quart des entreprises italiennes du meuble. Ce sont pour la plupart les plus emblématiques, exception faite d’Edra en Toscane ou de Moroso et Foscarini en Vénétie.

Une alliance entre l’artisanat et l’industrie

« Si d’autres pays ont eu une théorie du design, l’Italie a eu une philosophie du design, peut-être même une idéologie », affirmait Umberto Eco. Celle qui régit le modèle lombard dans ce que l’architecte et designer Andrea Branzi a qualifié d’« étrange alliance » entre des artisans talentueux et des industriels cultivés. L’exigence artistique s’y conjugue parfaitement avec les exigences économiques.

Un récent rapport du centre d’études de la Banque Intesa Sanpaolo, présenté à l’occasion du dernier Salone del Mobile, a dressé un état des lieux du secteur. L’Italie est le premier pays européen en matière d’activités de design spécialisé, qui génère 6,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 16,4 % du total de l’Union européenne. Ses plus de 21 000 entreprises emploient environ 70 000 salariés, soit près de 20 % du total européen. Les exportations se sont élevées en 2024 à 11,44 milliards d’euros en recul de 2,6 % sur un an. Les situations sont très différentes selon les pays d’exportation. Le marché allemand a connu un brutal coup d’arrêt avec une baisse de 7,9 % tandis que celles à destination des États-Unis enregistraient une hausse de 1,2 % soit 14 % du total des exportations. Elles atteignaient 1,6 milliard d’euros, hissant les acheteurs de produits Made In Italy outre-Atlantique au second rang juste derrière la France. L’Hexagone demeure le premier débouché du design italien avec des exportations qui y frôlent les deux milliards d’euros bien qu’elles soient en recul de 2,6%. De nouveaux marchés s’ouvrent aux entreprises italiennes notamment au Moyen-Orient avec un bond des exportations vers les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite de 23,4 % et 18,5 %.

Les exportations italiennes concernent essentiellement des produits haut de gamme (10 % total du marché). La filière résiste bien également dans le secteur moyen-bas de gamme (4,7 % du marché). Elle est composée de plus de 21 000 entreprises, dans leur grande majorité des PME/PMI dont la production a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 51,6 milliards d’euros, en recul de 3,1 % sur un an. Le solde commercial des exportations, toujours positif malgré une très légère baisse, était de 8 milliards d’euros. « Cela ne signifie pas que la situation soit facile, commente Claudio Feltrin, au contraire. Mais la filière du meuble a dans son ensemble su naviguer dans les eaux agitées du commerce mondial mieux que d’autres secteurs industriels. Reste qu’une possible hausse des droits de douane américains est inquiétante puisque les États-Unis sont l’un de nos rares marchés principaux à avoir connu une croissance en 2024. En outre, la fermeture des États-Unis à la Chine pourrait provoquer une hausse des produits chinois en Europe ce qui nous causerait des difficultés en l’absence de règles adéquates pour y faire face. »

L’incertitude liée à la guerre commerciale et le ralentissement économique, après le fort rebond qui a suivi la pandémie, représente un moment délicat pour le secteur. « Mais la complexité du moment que nous traversons réserve des opportunités que les entreprises lombardes sont prêtes à saisir, veut croire Maria Porro. La diversification géographique avec l’émergence ou la consolidation des marchés indiens, mais aussi indonésiens, thaïlandais, vietnamiens, brésiliens ou australiens est pleine de promesses. » Il faudra du temps pour les réaliser. FederlegnoArredo avertit que les marchés ne se remplacent pas du jour au lendemain. Il faut au moins trois ans pour qu’une entreprise commence à obtenir les premiers résultats de ses investissements et cinq ans pour assurer un vrai succès. « Le design reste un facteur essentiel de compétitivité du Made in Italy, estiment les auteurs du rapport qui lui a été consacré par Intesa Sanpaolo. Le design, entendu comme la capacité d’innover, de créer de la beauté et de la qualité, ne se limite pas au secteur de l’ameublement, mais fédère de nombreuses filières de production italiennes, de la mode à la bijouterie, du nautisme à l’hôtellerie. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Le design italien résiste à la crise

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