Le différend entre Londres et Athènes sur les marbres de l’Acropole soulève une question cruciale : à qui ces sculptures appartiennent-elles vraiment ?
Athènes. « La Grèce et le Royaume-Uni proches d’un accord sur les marbres » : ainsi titrait le quotidien grec Kathimerini en début d’année, s’appuyant sur des confidences en marge des négociations secrètes menées par le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis. De prime abord, un accord serait pour lui une victoire politique et diplomatique. Jusqu’alors, tous les gouvernements grecs ont échoué à rapatrier ces marbres qui, depuis le Ve siècle av. J.-C. jusqu’au XIXe siècle, ornaient le Parthénon, au sommet de l’Acropole. Une large part d’entre eux est conservée dans la Duveen Gallery du British Museum à Londres. Pour les Grecs, ces œuvres ont été sorties du pays à la suite d’un pillage ; pour les Anglais, les marbres ont été acquis légalement. Toute la controverse repose sur la question de la propriété.
Il faut remonter la chronologie pour comprendre. Le combat pour la réunification des marbres a été lancé par Melina Mercouri, comédienne et chanteuse devenue ministre de la Culture après la victoire du Pasok, le parti socialiste grec, en 1981. Comme l’explique au Journal des Arts(JdA) Nikolaos Stampolidis, le directeur du Musée de l’Acropole, « les marbres appartiennent au corps du Parthénon. Il ne s’agit pas de simples œuvres d’art, mais de la réunification d’une pièce majeure, essentielle, qui symbolise la démocratie, à commencer par celle établie par Périclès jusqu’à celles qui ont vu le jour ensuite ». À partir de 1801, après avoir graissé la patte aux Ottomans qui règnent sur la Grèce depuis 1453, Lord Elgin, l’ambassadeur britannique à Constantinople, s’attaque à l’édifice. Puis, en 1816, il vend au British Museum 114 plaques de marbre, dont 75 mètres de la frise des Panathénées ainsi qu’une cariatide de l’Érechthéion. En 1963, pour empêcher leur rapatriement, les Britanniques votent même une loi interdisant la vente ou la cession des collections du musée. Pourtant, selon un proche du dossier, « les multiples rencontres politiques qui ont eu lieu, depuis 2021, avec le président du British Museum, George Osborne [chancelier conservateur de l’Échiquier de 2010 à 2016, ndlr], devraient aboutir bientôt à une solution win-win ». Mais à quelles conditions ?
En 2019, le Premier ministre grec évoque un « prêt ». Le mot est répété en octobre 2024 lors d’une conférence au Musée de l’Acropole, organisée par le Parthenon Project, une initiative privée financée par l’industriel John Lefas. L’idée séduit outre-Manche, où le gouvernement s’opposait fermement à tout retour jusqu’à l’arrivée de Keir Starmer au 10 Downing Street en juillet 2024. À Athènes, le travailliste est perçu comme un interlocuteur ouvert à la discussion. Certes, il a déclaré ne pas vouloir modifier la loi de 1963. Mais en coulisses, l’option d’un prêt à long terme accordé par le British Museum avance. Les frises seraient exposées à Athènes, qui prêterait en échange des œuvres à Londres. « À mon avis, un tel accord serait valable », estime Irini Stamatoudi, avocate à la Cour suprême d’Athènes et professeure de droit à l’université de Nicosie. Elle précise toutefois qu’« un prêt ne facilite pas la réunification. Vous ne pouvez pas réunir les marbres et risquer de devoir les séparer à nouveau pour les restituer ».
L’idée heurte de nombreux autres spécialistes. « En droit privé, un prêt signifie que le prêteur conserve la propriété. L’acquisition par Lord Elgin serait de facto reconnue », explique au JdA l’ancien président de la République hellénique, Prokopis Pavlopoulos, qui a fait du retour des marbres un combat de son mandat. Lui qui est aussi professeur de droit martèle :« La possession doit être reconnue à la Grèce. » Angelos Chaniotis, professeur d’histoire ancienne et de lettres classiques à l’Institute for Advanced Study de Princeton (New Jersey), confirme : « Un prêt est inacceptable : il s’agit d’un transfert temporaire de propriété de son propriétaire à une autre partie. Il est défini dans la durée et implique une question de possession. » Rendant de facto la réunification impossible.
L’autre source d’inquiétude concerne l’exposition d’œuvres grecques à Londres. Le directeur du Musée de l’Acropole explique : « La partie grecque a proposé que la galerie du British Museum ne reste pas vide quand les marbres reviendront en Grèce. D’autres pièces pourraient être prêtées au British Museum pour une durée allant de trois à cinq ans. » La suggestion fait bondir Kostas Paschalidis, conservateur du Musée archéologique d’Athènes et président de l’Association des archéologues : « Qu’allons-nous donner en échange ? Un prêt accompagné d’un échange signifie que nous devons livrer des chefs-d’œuvre de valeur équivalente. Seules quelques pièces de nos musées – comme l’Aurige de Delphes ou le masque d’Agamemnon [masque funéraire en or, ndlr] – sont comparables aux fragments du Parthénon. Il faudrait déplacer ces trésors nationaux inscrits sur la liste des objets inamovibles. D’ailleurs, ils n’ont jamais été déménagés sauf pour les cacher et les protéger des bombardements lors de la Seconde Guerre mondiale. »
En outre, les historiens craignent que ces objets prêtés soient transformés en otages, comme l’exprime la vice-présidente de l’Association des archéologues, Despina Koutsoumba. « Si la Grèce ne rendait pas les marbres au terme du prêt, les Britanniques pourraient garder les pièces que nous avons envoyées. » Elle ne s’oppose pas à prêter des œuvres au British Museum pour que la Duveen Gallery ne soit pas vide, mais à condition qu’« une réunification des marbres soit préalablement actée ». Ensuite, précise-t-elle, « ce n’est pas aux Britanniques de choisir ce qu’ils veulent, mais à nous de décider ce que nous leur enverrons ».
Car là encore, les historiens ont en tête un précédent : la collection Stern, qui regroupe 161 objets cycladiques. Selon un accord de partenariat d’une durée de cinquante ans signé entre le Metropolitan Museum of Art (Met) de New York et le Musée d’art cycladique d’Athènes, et approuvé par le Parlement grec en septembre 2022, cette collection sera partagée entre le Met et d’autres musées grecs, tandis que d’autres prêts d’art cycladique seront fournis au Met en compensation. Pour les archéologues, cet accord est un sacrilège. Ils craignent qu’il soit reproduit avec le British Museum. « La seule solution moralement acceptable est le don, et non l’échange, le prêt, la réunification progressive ou la possession conditionnelle », tranche le professeur Angelos Chaniotis.
Enfin, tous savent que l’accord passé avec le British Museum aura des effets bien plus larges. Si l’institution londonienne détient la majeure partie des pièces, d’autres fragments sont conservés au Louvre à Paris, au Danemark, en Autriche ou en Allemagne. Et contrairement au Musée de Palerme (Sicile, Italie), qui a rendu un fragment représentant un pied d’Artémis, et au Vatican, qui a restitué trois fragments du Parthénon conservés dans les collections pontificales, ces musées refusent de mettre les marbres au cœur des discussions. Craignant peut-être que, s’ils retournaient ces pièces à leur mère patrie, d’autres œuvres de leurs collections soient revendiquées par d’autres musées.
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Au cœur de la bataille des marbres du Parthénon, l’enjeu de la propriété
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : Au cœur de la bataille des marbres du Parthénon, l’enjeu de la propriété